Folia Veterinaria

AMM ou EBM ? La place de l'AMM et de l'EBM dans la prise de décision pharmacothérapeutique

datum publicatie: 15-10-2011
Sujets
EBM

Le médecin vétérinaire peut être amené, après avoir posé un diagnostic, à prescrire, fournir ou administrer des médicaments les plus adéquats, c’est-à-dire ceux qui offriront les meilleures garanties d’efficacité et de sécurité dans une situation médicale donnée. Pour atteindre cet objectif, tout médicament préparé industriellement doit être pourvu d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). L’obtention de l’AMM repose sur l’examen, par des panels d’experts désignés par les autorités nationales et européennes, d’un dossier fourni par l’industriel. Ce dossier regroupe la totalité des informations et études permettant de réaliser une analyse bénéfice/risque au terme de laquelle les indications thérapeutiques sont définies ainsi que les modalités d’administration et de suivi optimales. L’essentiel des éléments sur lesquels a été basée l’analyse bénéfice/risque est accessible dans un rapport d’évaluation destiné au public. Le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) rassemble les informations pratiques permettant un usage optimal du médicament. Ce document constitue un référentiel du bon usage sur lequel tout utilisateur doit pouvoir se reposer pour assumer la responsabilité de ses choix thérapeutiques. La nature des informations pharmacothérapeutiques contenues dans ces divers documents a fait récemment l’objet d’un compte-rendu détaillé (Folia Veterinaria 2011 n°1).

Cette orientation, suivie en médecine humaine tout comme en médecine vétérinaire, conduit à enregistrer des médicaments possédant des indications de plus en plus précises sur base de données scientifiques répondant à des normes européennes très exigeantes (Directive 2001/82, modifiée par les Directives 2004/28/CE et 2009/9/CE). Le médecin vétérinaire est légalement tenu d’utiliser prioritairement ces médicaments lorsqu’il est confronté à des situations très semblables à celles des conditions d’utilisation de ces médicaments. Ce système permet donc un partage de responsabilités entre l’industriel, les autorités ayant octroyé l’AMM sur base de l’avis scientifique d’un groupe d’experts reconnus et le vétérinaire qui, du fait de la confidentialité des informations contenues dans le dossier d’enregistrement, ne peut y avoir qu’un accès limité.

Dans le meilleur des cas, des médicaments visant toutes les indications thérapeutiques chez toutes les espèces animales devraient être proposés au vétérinaire. La réalité est toute autre. La logique économique conduit à développer prioritairement des médicaments pour les espèces les plus importantes en termes d'effectifs et pour les indications majeures. Pour les espèces et les indications dites mineures (Minor Use Minor Species ou MUMS), un problème de disponibilité de médicaments se pose malgré les efforts conjoints du secteur pharmaceutique et des autorités pour combler ce déficit. Le vétérinaire est amené à pratiquer l’usage hors-AMM des médicaments expressément spécifié par la Loi et les règlements. Il s’agit du système dit de la « cascade thérapeutique » (Arrêté Royal du 14 décembre 2006 - art. 230 & 231). Qu'il choisisse un médicament à usage vétérinaire mis sur le marché pour d'autres indications ou pour d'autres espèces cibles que celles traitées dans une situation particulière ou encore un médicament à usage humain ou une préparation extemporanée, le praticien doit pouvoir assumer l'entière responsabilité civile et pénale de ses actes thérapeutiques. En cas de litige l’opposant à des propriétaires devenus de plus en plus exigeants en terme d'obligation de moyens mais acceptant de moins en moins les risques inhérents à ces pratiques, il est indispensable que les décisions thérapeutiques reposent sur des preuves scientifiques opposables. Leur recherche, leur évaluation et leur intégration au processus de décision du praticien relèvent de l'Evidence Based Medicine (EBM) (Folia Veterinaria 2008 n°3, 2011 n°1 en n°2Vandeweerd, 2009a). 

Alors que le principe de l’AMM repose sur la confiance des vétérinaires vis-à-vis d’un travail d’experts reconnu, l’EBM est basée sur la capacité des thérapeutes à vérifier, par eux-mêmes, toutes les preuves disponibles. Cette antinomie entre les deux approches est-elle réconciliable ? L'EBM ne serait-elle indispensable que pour justifier les choix thérapeutiques pris dans le cadre de la cascade thérapeutique ? Ne serait-elle donc que de peu d'utilité pour évaluer le bien-fondé des médicaments à usage vétérinaire ayant obtenu une AMM ? Que faut-il en penser?

Même pour les médicaments les plus récemment mis sur le marché et nonobstant la garantie apportée par l'évaluation scientifique réalisée au cours de la procédure d'AMM, un vétérinaire devrait avoir accès à un maximum d'informations pour exercer son esprit critique, notamment pour mieux cerner les limites et les dangers d'utilisation des médicaments dans le cadre des indications spécifiées dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP). La mise sur le marché d’un médicament est par essence assez réductrice puisque les modalités d’utilisation ne sont valables que pour les situations et le type de malades qui ont été pris en compte lors de la réalisation des études cliniques. Dans le cadre de la pratique médicale, les situations sont souvent multifactorielles et plus complexes que dans le cadre standardisé d’études randomisées et contrôlées. Il est donc indispensable de multiplier les essais et d’en diffuser le contenu pour permettre au vétérinaire d’opérer un choix raisonné, basé sur les meilleures preuves scientifiques. Ainsi, la diversité d’une même maladie chez des patients dont l’état physiologique ou pathologique peut fortement influencer la réponse aux divers traitements, la combinaison de diverses pathologies, la comparaison de l’efficacité de divers traitements administrés séparément ou en combinaison sont autant d’informations capitales à porter à la connaissance du vétérinaire. 

Le RCP est-il sujet à péremption ? Qu'en est-il des médicaments ayant obtenu une AMM depuis longtemps ? Le référentiel de qualité qu’est le RCP peut bien évidemment évoluer avec le temps. La date de la dernière modification des caractéristiques du produit est mentionnée dans le RCP mais pas (encore) dans la notice insérée dans l’emballage. Les médicaments ayant une AMM assez ancienne peuvent subir des modifications sur base d’une analyse bénéfice/risque continue. Les normes appliquées aux médicaments les plus anciens au moment de leur mise sur le marché sont souvent dépassées. Pour ces médicaments, une procédure de révision quinquennale visant à remettre à jour le contenu des dossiers en fonction de l'évolution des connaissances et des normes d'enregistrement est prévue. Elle se base néanmoins sur une analyse risque/bénéfice qui conduit à actualiser les points jugés les plus critiques du dossier d'AMM. La surveillance des médicaments après leur mise sur le marché, prévue par la pharmacovigilance, poursuit le même objectif. Prenant l'exemple des antibiotiques, la révision du dossier consiste notamment à vérifier que l'émergence de résistances ne vient pas entraver l'efficacité potentielle des médicaments déjà présents sur le marché. Si c'est le cas, les posologies devront être revues à la hausse ou le médicament sera retiré du marché. Dans cette démarche, il n'est que très rarement demandé aux laboratoires pharmaceutiques de fournir de nouveaux essais cliniques prouvant l'efficacité d’un de leur produit vis-à-vis d'une pathologie très précise. Le plus souvent, l'indication générale suivante sera conservée sur base du principe de "l'usage bien établi" (well established use), à savoir: " pathologies provoquées par des germes sensibles". Il revient au vétérinaire de prendre ses décisions thérapeutiques en fonction des situations particulières auxquelles il est confronté, de son expérience, de ses connaissances en pharmacothérapie et des meilleures preuves scientifiques disponibles dans la littérature.

L’EBM et l’AMM apparaissent donc comme des processus complémentaires et indispensables pour le thérapeute. L’AMM est un point de départ ; le plus petit commun dénominateur entre des situations complexes et diverses. L’EBM, permet d’accroître le champ d’application des médicaments en prenant mieux en compte cette diversité.

L’EBM : alpha et oméga ? Si les principes cartésiens sur lesquels repose la réalisation des essais thérapeutiques ne sont pas remis en cause dans le contexte de l’allopathie, leur application possède ses propres limites. Le reproche du caractère réducteur des études déposées à l’appui d’une demande d’autorisation de mise sur le marché peut aussi être adressé aux essais cliniques dont se nourrit l’EBM. Même en multipliant les études, toutes les situations ne peuvent être intégrées dans une approche statistique. L’EBM a le mérite de nous interroger sur la médecine telle que les vétérinaires l’apprennent en faculté et la pratiquent au quotidien. En apportant aux praticiens une actualisation et une diversification du savoir scientifique médical, l’EBM est devenue un outil incontournable de l’arsenal du médecin vétérinaire qui veut assumer ses responsabilités. Elle contribue à améliorer les décisions médicales sans toutefois en constituer toute la substance. En l’utilisant de manière dogmatique, un risque bien réel de normalisation de l’exercice médical pourrait apparaître au détriment de la relation entre le vétérinaire, l’animal et son propriétaire qui repose sur l’expérience personnelle, idéalement partagée. La compétence d’un vétérinaire ne peut se résumer à un usage dogmatique de diverses thérapies face à des situations bien précises. Au-delà des faits scientifiques et médicaux, le médecin vétérinaire est amené à prendre des décisions par rapport à des situations complexes intégrant la psychologie du propriétaire, l’histoire du patient, les paramètres socio-économiques et éthiques, les dimensions légales et réglementaires…

L’EBM, un outil accessible à tous ? Même lorsque les meilleures preuves sont disponibles pour répondre à une question précise, il faut bien admettre que les praticiens disposent de peu de temps pour les rassembler. Ensuite, encore faut-il évaluer la qualité des études, leur pertinence par rapport à la question posée et y apporter des réponses concrètes. En outre, les praticiens ne sont pas toujours formés à cette démarche qui permet d'étayer les décisions médicales en les faisant reposer sur les données issues de la recherche. Les principes de l'EBM et l'intégration de cet outil à la prise de décision médicale en situation complexe commencent à être intégrés dans le cursus des étudiants en médecine vétérinaire et la formation continue, notamment en appliquant les principes de la technique de lecture rapide par couches des publications scientifiques (Vandeweerd, 2009b, Vandeweerd 2010). Une autre approche repose sur la lecture de synthèses. Outre le fait qu'elles traitent souvent de thématiques assez larges sans rapport direct avec la question précise que se pose le vétérinaire, il ne faut pas négliger la possibilité d'une sélection biaisée, consciente ou non, des publications par les auteurs visant à confirmer leur opinion personnelle. D'autres outils plus performants commencent à être mis à la disposition des vétérinaires. Dans certains cas, des spécialistes dans un domaine donné se rassemblent pour apporter des réponses à des questions précises. Il s'agit de "conférences de consensus" qui reflètent l'avis consensuel des experts. Les méta-analyses et synthèses méthodiques dont les principes sont abordés et illustrés dans les Folia Veterinaria commencent à être diffusées en médecine vétérinaire.

Le rôle du CBIP est d’apporter aux vétérinaires et aux pharmaciens d’officine les éléments de preuves scientifiques et médicales pouvant entrer dans l’analyse bénéfice/risque d’un médicament.


Références
  1. Folia Veterinaria 2008 n°3. Médecine fondée sur les preuves (Evidence Based Medicine): concepts de base pour les praticiens. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique, asbl.
  2. Folia Veterinaria 2011 n°1. Nature des informations justifiant la mise sur le marché des médicaments à usage vétérinaire : le point de vue réglementaire. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique, asbl.
  3. Vandeweerd J.M.. Guide pratique de médecine factuelle vétérinaire. Editions du point vétérinaire, Reuil-Malmaison, France. 2009a.
  4. Vandeweerd Jean-Michel, Gustin Pascal et al., Un outil pédagogique multidisciplinaire pour former les étudiants vétérinaires à une prise de décision thérapeutique mieux informée. Proceedings du 26ème Congrès de l'Association Internationale de Pédagogie Universitaire (AIPU), p159, mai 2010, Rabat, Maroc.
  5. Vandeweerd J.M.. La médecine factuelle au quotidien: des suggestions pour les praticiens équins. Prat. Vét. Equine. 167, 55-61, 2010
Bases légales
  • Directive 2009/9/CE et Directive 2004/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la directive 2001/82/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires. Journal officiel de l'Union européenne du 30/04/2004 et du 14/02/2009.