Selon le médicament et l’espèce cible (plusieurs espèces domestiques et sauvages), les indications suivantes sont mentionnées dans le RCP/notice :
- immobilisation (en monothérapie si aucune myorelaxation n’est requise) et sédation
- induction d’une anesthésie générale (en association avec un opioïde, une benzodiazépine ou un alpha-2-adrénergique)
- entretien d’une anesthésie générale de courte durée
Outre ces indications revendiquées dans les notices des produits actuellement sur le marché, d’autres sont décrites dans la littérature, comme le traitement de la douleur ou comme anti-dépresseur avec des doses subanesthésiques de kétamine. Elles peuvent être exploitables en clinique à condition que le praticien en prenne l’entière responsabilité, sous les conditions d’application de la cascade.
Parmi les agents dissociatifs utilisés en médecine vétérinaire, il faut citer la tilétamine et la kétamine, qui sont toutes deux des dérivés cyclohexylamines. Seules la kétamine et la tilétamine sont enregistrées en Belgique à usage vétérinaire. La tilétamine possède une action plus longue et un effet analgésique périphérique plus marqué que la kétamine.
Les anesthésiques dissociatifs induisent, après une administration IV ou IM, une anesthésie caractérisée par un « sommeil » relativement superficiel combiné à une analgésie somatique ou périphérique de bonne qualité. L’analgésie viscérale est plus faible. L’utilisation de faibles doses IV de kétamine, en boli ou en infusion, entraîne un effet analgésique périphérique positif, utile en cas d’usage per- ou postopératoire. La kétamine administrée par voie épidurale provoque une brève analgésie périphérique de l’arrière-train, de bonne qualité. Les électro-encéphalogrammes montrent une dissociation entre le thalamus et le système limbique. Certaines régions telles que le thalamus et celle du cortex sont déprimées tandis que d’autres, telles que le système limbique, restent activées, donnant ainsi une explication possible aux effets hallucinogènes. Ces caractéristiques sont spécifiques à cette famille d’anesthésiques et expliquent aussi l’augmentation du tonus musculaire et pourquoi les réflexes pharyngés et laryngés, le tonus maxillaire, des mouvements oculaires comme le nystagmus et l’ouverture des paupières sont conservés. Utilisés en monothérapie, ces produits provoquent rarement la profondeur d’anesthésie requise pour une chirurgie, d’où la nécessité d’une combinaison avec d’autres substances qui agissent sur le système nerveux central. La posologie est déterminée par le type de prémédication (posologie réduite en cas d’utilisation avec d’agonistes alpha-2).
Le mécanisme d’action est complexe et repose sur des interactions avec plusieurs récepteurs, telles que l’antagonisation du récepteur NMDA (acide N-méthyl-D-aspartique), la liaison partielle aux récepteurs opioïdes µ et des médiateurs dans le système nerveux central, en particulier dans le cerveau et dans la corne dorsale de la moelle épinière. Une différence notable avec les autres anesthésiques est l’absence d’effet des anesthésiques dissociatifs sur les récepteurs GABA.
Les anesthésiques dissociatifs ont un spectre thérapeutique assez large et une toxicité organique faible. Ils peuvent être administrés par voie IV ou IM et induisent une bonne analgésie périphérique. Leur influence sur la respiration étant modérée, ils ne répriment quasiment pas les réflexes de déglutition et de toux. En raison de l’analgésie viscérale minime et du risque de catalepsie lié à la rigidité musculaire, il est déconseillé de les utiliser seuls.
L’état cataleptique apparaît moins fréquemment en cas d’usage simultané avec des benzodiazépines. La tilétamine est uniquement disponible en association avec du zolazépam, un dérivé des benzodiazépines apportant des effets myorelaxants et anti-convulsivants.
La kétamine est disponible sous forme de solution injectable à usage IM, IV ou SC. L’administration épidurale n’est pas reprise dans la notice des produits disponibles et relève donc exclusivement de la cascade thérapeutique. En raison de sa grande liposolubilité, de son faible poids moléculaire et du pKa de 7.5, les effets de la kétamine sur le SNC apparaissent rapidement (T max: 10 minutes), mais perdurent trois fois moins longtemps que ceux de la tilétamine. Sa demi-vie est d’environ 1 à 3 heures suivant les espèces. La kétamine a une grande liposolubilité et diffuse dans tous les tissus, particulièrement dans le cerveau, le foie, les poumons et le tissu adipeux. La kétamine traverse également la barrière placentaire. La disparition des effets sur le SNC après l’administration unique d’un bolus intervient du fait d’une redistribution rapide du cerveau aux autres tissus. Chez le chien et le cheval, la kétamine est métabolisée par déméthylation et hydroxylation au niveau du foie. Les métabolites et une partie de la forme inchangée sont excrétés dans les urines. La faible métabolisation hépatique chez le chat explique l’excrétion rénale de la kétamine sous forme inchangée. Administrée de manière répétée, la kétamine induit une augmentation des enzymes microsomales hépatiques, ce qui peut provoquer de la tolérance à plus long terme.
La tilétamine est combinée au zolazépam et disponible sous forme de poudre lyophilisée (1:1) (voir aussi Benzodiazépines)
Les anesthésiques dissociatifs ont un index thérapeutique large chez les patients en bonne santé mais la prudence est requise chez les patients souffrant de morbidités.
- Hypersensibilité connue à la kétamine. Utilisation sans prémédication pour les interventions chirurgicales importantes.
- Insuffisance hépatique, rénale ou cardiaque.
- Pression intracrânienne accrue (traumatisme à la tête, avec flux sanguin cérébral accru dû à la vasodilatation et augmentation sympathicomimétique de la pression sanguine).
- Glaucome.
- Opération intra-oculaire prévue.
- Une (pré-)éclampsie,
- Troubles convulsifs (ex. épilepsie).
- Patients traités avec des organophosphorés.
- Etant donné que les réflexes de déglutition et de toux sont conservés, les interventions au larynx, au pharynx ou à la trachée sont difficilement réalisables.
- Chez l’homme, risque d’hypertension sévère et de tachycardie chez les patients souffrant d’hyperthyroïdie ou chez les patients traités avec une hormone thyroïdienne exogène. La pertinence de cette contre-indication en médecine vétérinaire reste incertaine, même si dans certaines circonstances (importante hausse de pression sanguine), des lésions du myocarde ont été observées, e.a. chez le chat après usage de la kétamine.
La solution ayant un pH bas (3.5), une administration IM peut être suivie de douleurs et de réactions tissulaires. Les anesthésiques dissociatifs induisent une augmentation du débit sanguin cérébral et des pressions intracrânienne et intra-oculaire. Ces effets justifient leur contre-indication chez des animaux présentant une pression intracrânienne accrue, un traumatisme de la tête ou de la cornée. Des effets hallucinogènes peuvent être observés durant la période de réveil, se traduisant par un comportement anormal, et des réactions excessives aux stimuli. En raison de la stimulation indirecte du système cardio-vasculaire d’origine sympathique, l’administration d’anesthésiques dissociatifs provoque un effet inotrope positif, une augmentation du rythme cardiaque, de la pression sanguine et du débit cardiaque, avec, toutefois, une résistance périphérique constante. L’accroissement de la circulation sanguine coronarienne après l’administration de la kétamine est parfois insuffisant pour compenser la consommation accrue en oxygène par le myocarde. Cette combinaison d’effet pourrait être à l’origine de l’apparition de lésions du myocarde chez le chat. La dépression respiratoire est minime. Une apnée et des irrégularités respiratoires sont cependant possibles. Le surdosage résulte en une dépression respiratoire ou une apnée sévère. Une augmentation des sécrétions bronchiques et salivaires qui deviennent plus visqueuses est observée. L’usage d’agents parasympathicolytiques peut s’avérer utile pour contrôler ces effets. Notons que l’atropine peut renforcer les effets stimulants sur le système cardio-vasculaire.
L’utilisation en monothérapie chez le cheval n’est pas recommandée en raison du manque de myorelaxation et du delirium lors de la récupération.
De nombreuses interactions ont été décrites avec d’autres substances actives comme les agonistes alpha-2-adrénergiques, les benzodiazépines, les anesthésiques volatils, les barbituriques, la guaïfénésine et les neuroleptiques. Elles sont exploitées en anesthésiologie, les combinaisons variant selon les espèces et le statut physiologique et physiopathologique de l’animal.
L’utilisation raisonnée de benzodiazépines, d’agonistes alpha-2-adrénergiques ou de phénothiazines en association avec des anesthésiques dissociatifs permet de contrôler ou tout au moins de réduire les effets indésirables sur le système cardio-vasculaire notamment.
Les effets vagolytiques et sympathicomimétiques centraux justifient que ces dérivés soient utilisés en association avec les agonistes alpha-2-adrénergiques connus pour leurs effets inverses, notamment au niveau du système cardio-vasculaire.
On notera que l’administration d’atipamézole comme antidote aux agonistes alpha-2-adrénergiques à un animal soumis à l’action combinée de la kétamine et d’un agoniste alpha-adrénergique peut induire des convulsions, tout particulièrement chez le chien.
Une autre association très courante est l’utilisation de kétamine ou de tilétamine avec certains dérivés des benzodiazépines tels que le zolazépam et le diazépam, afin d’exploiter l’effet myorelaxant et anticonvulsivant de ces dernières (voir Benzodiazépines).
Les hormones thyroïdiennes peuvent amplifier l’hypertension et la tachycardie induites par la kétamine.
Le chloramphénicol est susceptible de prolonger l’anesthésie chez le chat du fait d’une action sur le cytochrome P450.
Les yeux restent ouverts durant l’anesthésie et doivent donc être protégés. Durant l’anesthésie, les stimulations auditives intempestives sont à éviter. Des hallucinations ayant été décrites chez l’homme, ces substances sont classées parmi les stupéfiants (médicaments psychotropes). On veillera donc à respecter toutes les prescriptions légales en la matière.
Pour les produits disponibles, l‘utilisation de la kétamine pendant la gestation/lactation est déconseillée ou doit être basée sur une analyse bénéfices-risques. L’utilisation de l’association de tilétamine et de zolazépam est déconseillée.