Folia Veterinaria

Efficacité et sécurité du traitement prolongé de l’ostéoarthrite canine par des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : une synthèse méthodique

datum publicatie: 15-05-2011
Espèce cible
chien
Indication
affections non infectieuses tendineuses et/ou ostéo-articulaires
analgésie - douleur
Substance active
carprofène
firocoxib
méloxicam
Sujets
EBM
Synthèse méthodique
Analgésie
Ostéoarthrite
AINS

Un traitement continu et prolongé aux AINS, durant au moins 28 jours, permet-il d'atteindre un niveau d'efficacité supérieur à celui obtenu suite à des traitements répétés et de courte durée vis-à-vis de l’ostéoarthrite chez le chien ? Telle est la question posée par les auteurs de cette synthèse méthodique. Pour un certain nombre de molécules, il est apparu qu’un traitement de 14 jours, éventuellement répété, était aussi efficace, sur le plan du contrôle de la douleur, qu’un traitement continu d’au moins 28 jours. Aucun élément ne permet de se prononcer quant à l’éventuel effet protecteur des AINS sur les structures ostéoarticulaires, en situation clinique. Bien que certaines études tendent à montrer une efficacité supérieure de certaines molécules suite à un traitement continu et prolongé, d’au moins 28 jours, les preuves fournies par la littérature ne peuvent, dans l’état actuel des connaissances, être considérées comme suffisantes. Enfin, rien n'indique à ce stade que des thérapies prolongées soient associées à un accroissement du risque d’effets indésirables, par ailleurs élevés pour cette catégorie de médicaments 1. Etant donné qu’il est impossible de donner une conclusion définitive en raison du manque de données, et qu’il n’y a pas de données indiquant un impact histologique sur l’évolution de la maladie, l’objectif principal du traitement reste analgésique. Ce traitement de la douleur doit se faire à la dose la plus faible possible et pendant une durée aussi courte que possible, en signalant au propriétaire que des effets secondaires peuvent se manifester.

Source : Innes et al., Veterinary record, 166, 226-230, 2010; abstract disponible sur: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20173106 (PubMed).

Introduction

L'ostéoarthrite canine est une maladie caractérisée par des signes cliniques traduisant la présence de douleurs, d'inflammation et de boiterie. Les changements pathologiques associés découlent de l'inflammation du tissu cartilagineux, osseux ainsi que des autres structures articulaires. A terme, l'ensemble de ces éléments subissent un remodelage aggravant les dysfonctions ostéoarticulaires. Le traitement de cette pathologie invalidante touchant jusqu'à 20% des animaux selon certains auteurs, se base sur diverses approches non curatives. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme le carprofène, le méloxicam, la tépoxaline, le firocoxib, le déracoxib, l'étodolac, la phénylbutazone sont ainsi classiquement utilisés pour un contrôle symptomatique de la maladie, certains médicaments revendiquant un effet bénéfique sur l'évolution du remodelage tissulaire. Toutefois, les recommandations quant à la durée des traitements peuvent varier selon les auteurs et les experts consultés. Certains préconisent un traitement à la demande alors que d'autres plaident en faveur d'une thérapie continue justifiant ainsi les deux questions posées par cette synthèse méthodique.

Objectifs de l'étude

Cette synthèse méthodique vise à apporter des réponses concrètes à deux questions essentielles relatives à l'influence de la durée des traitements de l'ostéoarthrite canine:

  1. un traitement continu et prolongé, d'au moins 28 jours, permet-il d'atteindre un niveau d'efficacité supérieur à celui obtenu suite à des traitements répétés et de courte durée?
  2. un traitement prolongé est-il associé à un risque plus élevé d'apparition d'effets indésirables?

Matériel et méthodes

  • Bases de données consultées: Veterinary medicine, Journals@Ovid Full text, Ovid Medline, Veterinary Science Database, ISI Web of Knowledge.
  • Mots clés descripteurs: osteoarthritis, dog, canine, NSAID, non steroidal, carprofen, meloxicam, tepoxalin, firocoxib, deracoxib, etodolac, phenylbutazone.
  • Critères d'inclusion des études: sélection des publications traitant de l'ostéoarthrite affectant les articulations synoviales du squelette appendiculaire chez des chiens traités avec des AINS pendant au moins 28 jours. L'efficacité et/ou la sécurité des traitements instaurés devaient avoir été considérées dans les études. Les critères d'efficacité considérés devaient inclure des paramètres fonctionnels ou morphologiques.
  • Evaluation de la qualité des études: basée sur le système d'évaluation proposé par la FDA légèrement adapté 2. Brièvement, chaque article est évalué sur base de trois critères:
    • évaluation des niveaux d'évidence (répartition des études en 4 niveaux (I à IV) établis sur base de la pyramide de l’évidence illustrée par la figure 1)
    • attribution d'un score de qualité tenant compte de la description des facteurs d'inclusion et d'exclusion, les biais, la possibilité de généraliser les conclusions de l'étude, les méthodes de collecte des données… (score: +, +/-, -)
    • attribution d'un score relatif à la quantité des études et à la taille des échantillons utilisés pour celles-ci.

Résultats

1500 publications ont été analysées et 15 ont été retenues pour répondre aux questions posées initialement.

Description des études et qualité

Parmi ces 15 publications, 5 considéraient l'usage du carprofène; une seule étant identifiée pour le firocoxib, le méloxicam, et la licofélone respectivement. Les 7 autres étaient des études comparatives considérant au moins 2 traitements et incluant le carprofène (5), le firocoxib (2), le méloxicam (2) et le déracoxib (1).

8 études apportaient des niveaux d'évidence très élevés (niveau I); les 7 autres étant de moindre intérêt (niveau III). 14 études permettaient de juger de la sécurité fonctionnelle alors que 8 autorisaient une évaluation de l'efficacité fonctionnelle. Dans les deux cas, il s'agissait d'études cliniques. L'influence du traitement sur le remodelage a été discutée dans une publication reposant sur l'investigation d'un modèle expérimental chez un nombre limité d'animaux.

Des 15 études, 6 seulement étaient considérées comme étant de haute qualité scientifique (+) ; les autres étant de qualité moyenne (+/-).

Le détail des critères d'évaluation des études consacrées à chaque molécule, considérées séparément ou comparées à d'autres, est disponible dans la publication sous forme d'un tableau synoptique.

Preuves d'efficacité vis-à-vis de la douleur

Des 7 études comparant l'efficacité des traitements de courte et de longue durée, il apparaît que 6, dont 2 présentant des différences significatives, mettent en évidence une meilleure efficacité clinique des traitements prolongés. Plus précisément, l'efficacité du firocoxib et de l'étodolac n'a pas pu être clairement évaluée de ce point de vue. Une étude (niveau III) tend à montrer un effet supérieur pour un traitement prolongé par du firocoxib. Le carprofène a été très étudié de ce point de vue dans le contexte d'études de niveau III qui montrent un accroissement de son efficacité au cours du temps. Cette supériorité des traitements de longue durée a été confirmée dans une étude de qualité modérée mais de niveau I et ce, aussi bien pour le carprofène que pour le méloxicam. Il faut néanmoins noter qu'une autre étude de niveau I n'a pas permis de confirmer cette observation pour le carprofène et le firocoxib.

Effet protecteur vis-à-vis du remodelage

Une étude expérimentale de qualité modérée et de niveau I, consacrée au carprofène, montre qu'un traitement de 28 jours permet de protéger les articulations du remodelage observé chez les animaux placebo.

Sécurité

Bien que le nombre de chiens étudiés soit globalement très élevé, la variabilité des systèmes d'évaluation de la sécurité et l'absence fréquente de placebo limitent fortement la portée de ces études. Un nombre très limité d'études de niveau I permet de suggérer que la fréquence des effets indésirables n’augmente pas en fonction de la durée du traitement (carprofène).

Discussion

Vu la méthodologie mise en place pour cette synthèse méthodique, il est peu probable que des articles importants aient été oubliés. Néanmoins, le fait que des résultats négatifs soient rarement publiés et le sponsoring de certaines études pourraient introduire un biais potentiel. Bien que les auteurs estiment que des différences existent entre certains traitements en fonction de leur durée, l'efficacité additionnelle n'a pas été quantifiée dans cette synthèse méthodique. Il est dès lors difficile de se forger une opinion quant à la pertinence clinique des observations reprises.

Les auteurs font remarquer que seulement 15 études ont été sélectionnées totalisant 1575 chiens subissant un traitement de 28 jours au moins. Sans nier l'intérêt de ces travaux, il faut noter que s'agissant d'une maladie chronique, la durée d'un traitement continu peut, dans la pratique, largement dépasser 28 jours. L’absence d’information relative à cette question, pourtant cruciale, constitue un autre élément limitant la pertinence clinique de cette synthèse méthodique qui a néanmoins le mérite d'apporter une conclusion quant à l'efficacité d'un traitement d'une durée de 14 jours environ par rapport à un autre de 28 jours au moins.

L'absence de groupes placebo dans bon nombre d'études est un aspect regrettable même si les auteurs de ces travaux se sont probablement référés aux guidelines européennes décrivant les conditions de réalisation des études cliniques. Les auteurs de la synthèse soulignent qu'en médecine humaine, l'introduction de groupes placebo dans des études traitant de l'ostéoarthrite ne pose aucun problème éthique, un élément dont la médecine vétérinaire ferait bien de s'inspirer.

Globalement, les auteurs concluent qu’un niveau modéré de preuves suggère qu'un traitement d'au moins 28 jours avec les molécules étudiées dans ces diverses études pourrait apporter une efficacité additionnelle par rapport aux traitements de courte durée. Malgré le peu de preuves relatives à la sécurité, les données actuelles ne permettent pas de mettre en évidence un risque additionnel vis-à-vis des molécules étudiées de ce point de vue. Quant à l'effet protecteur vis-à-vis du remodelage exercé par le carprofène, le nombre très limité de chiens étudiés dans cette étude expérimentale n'autorise pas à généraliser cette observation.

 

Figure 1. La pyramide de l’évidence : la synthèse méthodique (revue systématique) est au sommet, alors que la synthèse narrative (article de synthèse) est à la base (d’après Vandeweerd et Saegerman, 2009).
Figure 1. La pyramide de l’évidence : la synthèse méthodique (revue systématique) est au sommet, alors que la synthèse narrative (article de synthèse) est à la base (d’après Vandeweerd et Saegerman, 2009).

  1. par exemple: Public Bulletin – Veterinary pharmacovigilance – 2010 (EMA/CVMP/PhVWP/44873/2011 Committee for Medicinal Products for Veterinary Use (CVMP) 10 February 2011
  2. voir bibliographie